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née entre un travail et un résultat. L enfant n acquiert des notions vraies sur
les choses qu autant qu il les explore par ses propres moyens et à ses risques ;
et cela est bien connu. On se trompe seulement en ce qu on oublie trop que les
premières notions ne sont jamais acquises par ce moyen, puisque l enfant
reçoit avant de conquérir et est porté avant de marcher. Il est vrai que cet état
ne dure pas longtemps; toujours est-il qu il ne peut orienter l enfant vers
aucun genre de cosmologie réelle.
Mais considérons l enfant qui se traîne, l enfant qui marche, l enfant qui
conquiert enfin le pouvoir d essayer. Son univers est encore plutôt politique
que physique. Il éprouve la défense, la contrainte, enfin la force supérieure de
la mère et de la nourrice, bien avant de connaître la limite de ses propres
forces devant un obstacle matériel. L obstacle est presque toujours humain, et
invincible, sinon par prière ou politique. De toute façon, c est presque toujours
par des signes, et non par des actions, que l obstacle sera vaincu, par exemple
Alain (Émile Chartier) (1927), Les idées et les âges (livres I à IX) 75
une porte fermée. Il se peut que, les choses étant bien au-dessous de leur réelle
importance, dans cette expérience enfantine, nous tenions ici la cause prin-
cipale des jeux, où jamais le résultat n importe. Toujours est-il que, si la
physique de l enfant n est qu un jeu, la politique de l enfant n est jamais un
jeu, puisqu il n y a que le résultat qui compte. Ainsi l enfant est préparé à
compter pour beaucoup l obstacle humain, et pour peu de chose l obstacle
réel, presque toujours aisément vaincu par la mère ou par la nourrice, si ces
hautes puissances le veulent bien.
Voilà littéralement le monde des fées et des enchanteurs. Tout serait
facile, sans les décrets incompréhensibles de toutes ces fées Carabosse, et de
ces terribles enchanteurs barbus. Tout serait impossible, sans les puissances
favorables, ou qui se laissent aisément fléchir. Ici les stratagèmes du cSur et
les miracles d un constant désir ; ici le pouvoir du mot, encore mieux remar-
qué par ceci, que la mère ou la nourrice, en bonne intention, exigera toujours
que l on dise le mot avant que l on obtienne la chose. Il est vrai que l enfant
demande la lune et ne l obtient jamais ; mais cette expérience n est pas remar-
quable autant pour lui que pour nous ; car s il demande quelque fleur du jardin
voisin, cela n est pas moins impossible. D où cet esprit des contes, qui mé-
prise les distances et les obstacles matériels, mais aperçoit toujours, en travers
du moindre désir, un enchanteur qui dit non. Aussi, quand quelque fée plus
puissante a dit oui, il n y a plus de problème, et la distance est franchie n im-
porte comment. Image fidèle de ce monde humain où l enfant vit d abord, et
dont il dépend. Image fidèle de ces entreprises enfantines où tout est proposé
comme récompense, ou obtenu par prière et obstination. Le monde enfantin
est composé de provinces et d éléments, sur chacun desquels règne une puis-
sance bien déterminée. Cuisinière, jardinier, portier, voisine sont des sorciers
et des sorcières dont les attributions sont réglées, et qui sont l objet d un culte
spécial. C est pourquoi nos souvenirs les plus anciens sont organisés mytholo-
giquement. Notre destinée est de redresser une mythologie d abord formée, et
non point de former premièrement une physique par nos expériences soli-
taires. Nous ne naissons pas au monde, nous naissons aux hommes, à leurs
lois, à leurs décrets, à leurs passions. D où cet ordre renversé d après lequel
notre physique est une politique prolongée, adaptée, redressée. Si l on ajoute
ici pour mémoire que l enfant apprend presque tout des autres, et toujours le
mot avant la chose, on comprendra que tous les genres d erreur soient naturel-
lement notre première pâture, et enfin que tout esprit est religieux et magicien
pour commencer. La société a toujours grande prise sur tout homme ; elle a
toute prise sur l enfant. D où cette difficulté ensuite, de percer la peau de
l Suf. D où cette vie principalement politique de presque tous. Que d hommes
qui arrivent par plaire ! Que d hommes qui creusent pour plaire, et non pour
faire le trou !
Alain (Émile Chartier) (1927), Les idées et les âges (livres I à IX) 76
Livre III : Les contes
Chapitre III
Magie
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La Magie consiste toujours à agir par des signes en des choses où le signe
ne peut rien. Par exemple les faiseurs de pluie, dont Frazer, en son Rameau
d or, nous rapporte les pratiques, sont des hommes qui signifient pluie par une
mimique énergique, soit qu ils lancent ici et là des gouttelettes d eau, soit
qu ils courent en élevant des masses de plumes qui figurent des nuages. En
quoi ils ne font autre chose que parler et demander, choisissant seulement de
tous les langages le plus clair et le plus pressant. Tel est le plus ancien mouve-
ment de l homme, par la situation de l enfance, qui n obtient d abord qu en
demandant, qu en nommant et montrant la chose désirée. Aussi il est tout à
fait inutile de supposer, en la croyance du magicien, quelque relation mystique
entre l image et la chose ; il suffit de considérer les effets constants du langage
dans le monde humain, puisque c est de ce monde que nous prenons nos pre-
mières idées. Ces sorciers, donc, signifient énergiquement ce qu ils désirent, à
la manière des enfants. Comme, d après une constante expérience, ils savent
que, dans le monde humain, il faut répéter le signe sans se lasser, ainsi ils se
gardent de douter de leur puissance, se croyant tout près du dernier quart
d heure ; et l événement leur donne raison, puisque la pluie finit toujours par
Alain (Émile Chartier) (1927), Les idées et les âges (livres I à IX) 77
arriver. Cela nous fait rire ; mais celui qui, dans le monde des hommes,
affirme guerre sans se lasser, ne nous fait pas rire ; c est que les hommes
comprennent les signes et sont toujours changés par les signes plus qu ils ne
croient. Quel homme ne serait changé s il recevait constamment les signes du
mépris ? Je ne ris point du signe dès qu il arrive du menaçant au menacé.
Certes on ne peut point me nuire en soumettant au feu ou au poison un petit
morceau de mon vêtement, ni en perçant au cSur une petite image faite à ma
ressemblance. Mais ces actions, prises comme signes de haine, si je les
connais, ces actions pourront bien me nuire, et même me nuiront certainement
en excitant en moi colère ou peur ou les deux ensemble. C est par les mêmes
causes qu une prédiction funeste nuit toujours, même si je n y crois point. Au
reste, qu est-ce que croire et ne pas croire ? Que la prédiction reste piquée
dans ma mémoire comme une mauvaise flèche, n est-ce pas déjà opinion ou
croyance ? Si l on me prédit que quelqu un me tuera, puis-je faire, quand je le
rencontre, que mon sentiment n en soit point changé ? Je me défends de
croire ; mais ni le vertige ni aucun genre de peur ne demandent permission.
Celui qui a le vertige ne croit-il pas déjà qu il tombe ? Eh bien, supposons
qu on prédise à un alpiniste qu il tombera à un certain passage difficile ; cette
pensée ne peut que lui nuire, si elle lui vient, comme il est naturel, en ce
passage même. C est parce que l imagination consiste en des mouvements du
corps humain qu elle est redoutable.
Mon père m a conté comment un de ses camarades mourut du choléra par
persuasion. Il avait parié qu il coucherait dans les draps d un cholérique ; il le
fit, prit le choléra, et mourut presque sur l heure. Or ses camarades, dont mon
père était, avaient bien pris soin de purifier tout, ne conservant que des
apparences. Ces apparences suffirent à tuer le malheureux. Il se trompait en
ceci qu il croyait que le courage guérit de la peur. Nous n avons directement
aucune action sur ces mouvements intérieurs du ventre, si sensibles dans les
moindres peurs. Et mon exemple est bon en ceci que le microbe visait
justement là.
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